Né dans les rues de New York à la fin des années 1960, le street art s’est imposé comme un langage de contestation, de revendication et d’expression artistique. Des tags – pseudonymes calligraphiés tracés à la hâte sur murs, trains ou mobilier urbain – aux flops, graffs simples aux lettres arrondies sans remplissage, la pratique s’est enrichie de fresques collectives réalisées lors de jams avant d’être progressivement reconnue et même commandée par les institutions.
Aujourd’hui, ce qui fut un geste marginal s’expose dans les plus grands musées du monde. Mais c’est dans la rue que cet art garde toute sa force, accessible à tous. En Amérique latine, il s’inscrit dans une tradition plus ancienne encore, héritière du muralisme du début du XXe siècle et enrichie de références indigènes, de symboles andins, de visages de leaders sociaux ou de récits populaires. Ici, les murs sont mémoire et miroir : chaque fresque devient une archive vivante qui raconte et interroge la société.
Colombie : la rue comme galerie

Bogotá est souvent considérée comme la capitale latino-américaine du graffiti. Dans des quartiers comme Puente Aranda (où se trouve le Graffiti District) ou La Candelaria, les fresques dialoguent avec l’architecture coloniale et donnent naissance à de véritables parcours culturels. Des « graffiti tours » y révèlent la dimension sociale et politique de chaque œuvre.
À Medellín, la Comuna 13 illustre mieux que nulle part ailleurs la capacité de l’art urbain à transformer un territoire. Autrefois marquée par la violence, elle est aujourd’hui recouverte de couleurs et attire des visiteurs venus du monde entier pour y lire une histoire de résilience et de mémoire.
Mexique : des interventions monumentales
À Tijuana, près de 80 000 m² de façades du quartier Lomas Verdes ont été peints, avec en pièce centrale un quetzal et un coyote, symboles du Mexique du Sud et du Nord. À Pachuca, le collectif Germen Crew a transformé plus de 200 façades du quartier de Las Palmitas en un immense macromural, qui a revitalisé l’espace urbain et attiré l’attention internationale.
Ces projets témoignent d’une autre facette du street art latino-américain : sa capacité à agir comme outil de cohésion sociale et comme moteur de fierté locale.
Brésil : entre ruelles et fresques géantes

À São Paulo, le Beco do Batman est devenu un passage obligé pour les amateurs de graffiti. Dans ce couloir de la Vila Madalena, les murs changent au rythme des interventions et se renouvellent sans cesse.
La ville est aussi le berceau de grands noms du graffiti mondial. Eduardo Kobra, originaire de São Paulo, est célèbre pour ses fresques monumentales et ses portraits multicolores visibles à New York, Paris, Berlin, Amsterdam ou Tokyo. Les frères jumeaux Os Gêmeos, quant à eux, ont exporté leur univers poétique jusque sur les façades, trains et avions du monde entier, contribuant à faire du Brésil une référence internationale du street art.
Chili : collines peintes et escaliers colorés

À Valparaíso, les collines Alegre, Concepción et Bellavista sont devenues des toiles vivantes. Escaliers peints comme ceux du Pasaje Beethoven (transformés en touches de piano) ou marches « We Are Happy Not Hippies » sont devenus des symboles de la ville. On y croise aussi des fresques réalisées par des collectifs internationaux, comme La Mamie de Valparaíso signée par le duo français Ella & Pitr.
Le Musée à ciel ouvert de Cerro Bellavista, initié dans les années 1960 et enrichi dans les années 1990, rassemble des œuvres de grands noms comme Roberto Matta ou Nemesio Antúnez.
Bolivie : un muralisme aux racines andines
Depuis 2011, la Biennale d’Art Urbain (BAU) de Cochabamba a transformé la ville en épicentre du graffiti bolivien. Les murs y racontent des récits inspirés des symboles andins, des « cholitas » ou de la Pachamama, tout en abordant des thèmes actuels : droits des peuples autochtones, inégalités sociales, mémoire historique. Des circuits comme le Bike Art Tour permettent de parcourir ces œuvres qui allient héritage ancestral et créativité contemporaine.
En Amérique latine, le street art ne se limite pas à l’esthétique. Il fait dialoguer passé et présent, contestation et célébration, mémoire et identité. Chaque fresque incarne une part d’histoire collective et révèle un univers où cohabitent références indigènes, mythes populaires et luttes sociales. Ici, les murs ne décorent pas : ils parlent, ils enseignent, ils rappellent. Marcher dans ces villes, c’est lire l’histoire d’un continent… sans mots, seulement en images.
Photos : Rupal | BA Street Art | Chile Travel